Préambule:
Ce texte fut relativement difficile à écrire, parce qu'il est difficile de résumer une situation qui a eu lieu durant plusieurs longues semaines, en plus des spéculations, des peurs, de l'absurdité de contexte. J'ai quand même essayé, au mieux de ma force, de faire un compromis entre la transparence et la discrétion. Vraiment pas facile dans les faits, mais l'essentiel dès faits est là. Les plus sensés d'entre-vous pourrons imaginer les émotions et les doutes intérieurs qui y sont rattachés.
J'oublie sûrement certains détails qui sont occupés à me hanter, à force d'avoir la face dedans. Je me garderai donc le privilège d'y revenir si besoin. Et bien sûr, de corriger mes fautes d'orthographe a posteriori.
Disons que dans un sens….on parle ici du Big Bang qui a causé la création de l'univers du 22ième siècle. Ce n'est pas rien, quand même.
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Proverbe du 22ième siècle :
De colicer une boite en carton avec des fils rouges verts et bleus à Berri-Uqam pour faire une joke, c'est aussi répréhensible que de rajouter des explosifs dedans, c'est juste moins salissant.
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Ça fait un bout de temps que je vous fais des références incompréhensibles sur ce blogue, concernant les pulsions de tueurs qui passent par-ci par -là dans l'actualité.
Pourquoi est-ce que ça m'intéresse le moindrement?
En fait, ça ne m'intéresse pas du tout. Mais, ça m'interpelle.
Pourquoi?
Ceux qui ne savent rien de moi ne savent pas que je suis supposée être une prof d'anglais au niveau collégial. Ils ne savent pas non plus que je suis en break d'enseignement.
Pourquoi ne le savent-ils pas?
Parce que j'avais pas envie de leur dire, simplement.
Pourquoi tous ces pourquoi?
Parce que j'ai décidé de cracher le morceau.
Janvier 2009. Pour le premier cours d'un de mes groupes, je décide de demander à mes nouveaux étudiants de composer un texte en répondant à la question suivante: que feriez-vous si vous aviez l'occasion d'aller travailler à l'étranger?
En tant que fille ayant étudié et travaillé un certain temps à Londres, je m'attends donc à recevoir des réponses du genre: "J'aimerais aller sauver les Africains en faisant de l'aide à l'international", ou "Je voudrais devenir un riche capitaliste à Wall Street et devenir le maître du monde."
Puis, en corrigeant ces textes, je tombe sur un devoir plutôt atypique, dans lequel un jeune homme que je n'avais jamais eu comme élève affirme qu'il voudrait devenir tueur à gage, parce que ses amis le décrivent comme un être morbide, avec des idées noirs, "cold-minded", "etc"….Ah oui, et qu'il a des armes à la maison.
Hmm…Je continue la lecture de ce texte, ne comprenant pas trop comment un étudiant pourrait faire une blague de la sorte dans son premier travail de la session sans souffrir d'un Q.I. dramatiquement plus faible que la moyenne des ours.
Donc, l'étudiant affirme que de tuer des gens serait une bonne opportunité de faire de l'argent tout en restant en forme. Ce serait même bon pour sa psychologie. Il pourrait même aller tuer à l'étranger, voir le monde, quoi...
Wow ! Un jeune être ambitieux…
Il parle ensuite de snowboard (?!?!) et son texte décousu de 300 mots se termine sur le fait qu'il ne sait pas ce qu'il fera au fond, car il ne sait pas s'il sera encore en vie dans 2 semaines.
……
Comment réagir à un tel texte? Bien sûr, l'idée d'une mauvaise blague m'a passé à travers l'esprit, mais certes, ses techniques d'humour restent à améliorer. De plus, mon feeling du moment se résume à l'inquiétude, imaginant immédiatement les manchettes futures du genre : "Un drame dans un Cegep, la prof était au courant depuis 2 semaines."
Ne sachant plus trop si j'hallucinais le contenu de cette feuille de papier, je décide de m'informer auprès de collègues dès le lendemain à savoir ce que je dois faire de telles confidences.
La première réaction de la part de certains collègues, fut la stupeur. Par contre, en apprenant l'identité du jeune, l'un d'eux me dit qu'il a une attitude buddy-buddy avec lui, et l'excuse en disant qu'il est du genre à faire faire ses travaux par un de ses amis.
Hmmm… Je trouve bien sûr étrange et très peu objective cette révélation, qui en soit ne me rassure pas sur l'étudiant, mais au contraire me fait surtout douter du jugement de ce prof de philo...
Je décide de rencontrer mon supérieur au niveau de la direction, accompagnée par le coordonateur de mon département. Bien sûr, tous font le saut d'apprendre le contenu de ce devoir.
Il décide de rencontrer l'étudiant et de le faire voir par la "technicienne en travail social" qui semble être un peu plus jeune que moi.
Suite à cette rencontre dont je ne faisais pas partie, le jeune clame qu'il s'agissait d'une joke...
Il n'en fallait pas plus pour que la direction décide de ne pas agir.
Bref, cette même direction me dit de le garder à l'oeil, et de donner des nouvelles à son sujet au cours des prochaines semaines. Un peu abasourdie, je fais ce que le boss demande. Je décide de demander à l'étudiant de rester après un cours, question de revenir sur le sujet directement avec lui. Je pense que c'est vraiment à partir de ce moment-là que mes doutes sur la santé mentale de ce jeune de 17 ans m'ont gagné.
Suite à son refus de s'excuser, son arrogance généralisée, et son regard de ptit freak sous lequel se trouve plusieurs similitudes avec une personnalité psychopathique, un énorme malaise m'envahie.
À partir de ce moment, j'écris régulièrement des courriels à mon supérieur afin de lui dire que je trouve étrange et inquiétante l'attitude du garçon, et que je suspecte qu'il m'en veuille personnellement d'avoir alerté la direction. L'élève m'a d'ailleurs dit, durant notre tête à tête, qu'à cause de moi "il a la direction et la 'psy' sur le dos." Le fait que je lui révèle que ses propos étaient complètement inadéquats, principalement dans le contexte des tragédies récentes dans des écoles, ne semblait pas lui rentrer dans la tête, ni même le fait que je lui dise que j'étais également inquiète pour sa sécurité à lui, avec sa mystérieuse conclusion de type suicidaire.
Mais toutes ces paroles ne feront qu'engendrer davantage de noirceur dans l'attitude et le regard de celui que j'ai maintenant pris l'habitude de nommer : le ptit criss.
Pendant presque 2 mois, donc, ce ptit criss s'est permis de venir m'intimider dans ce cours, m'interrompant constamment en n'oubliant pas d'inclure des références du type : "Mais moi je suis fou, je vais tuer tout le monde" quand je m'attardais à lui faire savoir qu'il avait avantage à se tenir tranquille s'il ne voulant pas aggraver son cas. Ses 2 petits amis se sont d'ailleurs amusé eux aussi pendant un certain temps à faire un maximum de références de tueurs dès que j'étais entrain de le réprimander.
On s'entend qu'à ce point-ci, ayant toujours sentie chez lui une fucking anormalité et un réel trouble de santé mental (quand on pense que j'ai été pognée à voir sa face de jeune morve durant presque 2 mois, 3 heures par semaines, me dévisager de son regard vicieux) en rien je n'ai cessé de croire que ce gars là était une menace pour le campus, ou du moins, une menace pour le vrai sens du mot "éducation". En rien. J'avais beau écrire à mes supérieurs que le lien de confiance minimal entre une prof et son étudiant était brisé et que je refusais même de lui tourner le dos, tellement il me faisait frissonner de morbidité, la direction avait peur, elle aussi, mais peur pour son cul administratif seulement. Donc, quand mes supérieurs me disaient qu'ils allaient sévir car l'intimidation de l'étudiant allait en augmentant, ils me le retournaient dans mon cours en m'annonçant que je ferais mieux de l'accepter (lui et ses amis, dans ce cas précis) afin de les "avoir de mon bord".
Excusez-moi, j'ai failli m'étouffer durant cette montée de rires et de hauts le coeur qui m'est venu en écrivant ces lignes.
Durant toutes les réunions (quasi hebdomadaires) à son sujet avec les supérieurs, même s' ils avaient décidé de considérer ce cas comme un mauvais blagueur, les doutes à son sujet persistaient de parts et d'autres. Mais la plus grande crainte des administrateurs n'était pas l'hypothèse de la sécurité, quoi qu'elle était discutée elle aussi. Non, la plus grande préoccupation de l'employeur était nulle autre que le fait que ce ptit criss avait 17 ans, et donc, il avait des parents qui pourraient éventuellement poursuivre le collège en plaidant toutes sortes de niaiseries du genre, la liberté d'expression. Oui oui. C'était le genre de craintes évoquées à voix haute dans ces réunions, à ma grande surprise de prof débutante.
Cet étudiant a donc fait des allers-retours dans le bureau du directeur a plusieurs reprises. (Disons qu'au niveau collégial, pour que ce genre de choses se produise, il faut être colon rare.) Chacune de ces rencontres a durée quelques minutes tout au plus. Un jour, le directeur adjoint m'a confié qu'il avait souvent un mauvais feeling avec ce jeune, puisque lorsqu'il était convoqué, il demandait à chaque fois d'aller porter son sac dans sa case. Qu'est-ce qu'il y avait dans ce sac si important? On ne le saura jamais, puisque malgré son "feeling" mon supérieur n'a jamais jugé bon d'agir à ce sujet.
Un jour, alors qu'il n'y avait pas encore eu de cours depuis sa dernière rencontre avec la direction, le même adjoint est venu le rencontrer dans un autre cours pour le "féliciter" de ne pas avoir foutu le trouble cette semaine……..alors qu'il n'avait juste pas eu l'occasion de le faire, il n'avait pas eu de cours encore... Faut être gentil pareil pour prendre le temps de donner une tape dans le dos (littéralement) à celui qui niaise le système pendant qu'on ignore systématiquement les milliers d'étudiants dignes d'une santé mentale dite normale.
Mais là ne s'arrête pas le mongolisme de cette histoire. À cause des craintes multiples reliées à ce dossier, du genre : perdre les quelques dollars que cet étudiant fourni en subventions au Cegep, les chances de poursuites, etc… les gestionnaires ont "omis" de rentrer en contact avec les parents de ce mineur. Eh oui, vous avez bien lu. Presque 2 mois se sont écoulées sans que les parents de ce jeune psychopathe fantasmatique ne soient joints par la direction. Qu'est-ce qui a été le déclencheur de ce fameux appel? L'arrêt de travail de la prof qui n'en pouvait plus d'avoir sur ses épaules la constante responsabilité de jouer à la gardienne de prison et d'avoir à l'oeil un tel esprit pervers. D'ailleurs, l'annonce de mon retrait à valu à mes oreilles un énorme sacre de la part du fameux directeur avec qui j'avais fait affaire depuis le début de cette saga… Mais ça, c'est un détail.
D'ailleurs, une fois contactés, les deux parents avaient des versions qui n'étaient pas tout à fait similaires, d'après ce qu'on m'a dit, mais il ne faut pas être un génie pour se rendre compte que les Sherlock Holmes de la direction ne se sont pas trop préoccupés de ce genre de détails. Vous serez heureux d'apprendre que de parler aux parents nous aura appris que ce jeune criss est un de ceux qui vont tirer dans des centres de tirs avec son papa depuis son plus jeune âge. Vous voyez le genre? Rings a bell?
Ah oui, j'oubliais. Puisque la direction se refusait de sévir contre ce jeune pour ses propos, qu'ils soient ou non une joke, j'ai fini par avoir l'initiative d'appeler à mon poste de police de quartier, question de voir si j'étais la seule à trouver toute cette histoire, complètement sordide par son manque d'interventions sérieuses.
À ma grande surprise, les flics ont tout voulu savoir, tout de suite, ne prenant pas à la légères les informations que je leur donnais. Je dois même avouer que je me sentais extrêmement coupable de faire ce que mon boss n'avait jamais eu l'envie de faire, et à ce point-là, j'avais tellement compris que la direction cherchait à éteindre cette histoire, que je me sentais comme une genre de traitre à faire la seule chose qui aurait dû être faite depuis le début de la session.
Il faut noter que je n'ai certainement pas reçu de merci particulier d'avoir embarqué les flics dans l'anecdote.
Puisque ça faisait quasiment 2 mois que ça durait, et que le jeune ne m'a pas fait de menace directe, la police a rencontré la direction immédiatement, mais a aussi rencontrer ce jeune….à peu près 2 ou 3 mois après que j'aille logé mon appel…afin de connaître sa version des faits.
J'ai d'ailleurs eu des nouvelles à ce sujet de la part des policiers, et je n'ai pu m'empêcher de leur faire le commentaire, comme quoi j'étais surprise qu'ils prennent la peine de noter que l'excuse du jeune était qu'il avait vu un film la veille de son cours, et que puisqu'il n'avait pas d'autres idées, il a fait ce qu'il a fait…
WOW ! C'est drôle qu'il n'aie pas mentionné cette excuse de faux-cul dès le départ, même si dans les faits, ses justifications n'excusent rien de rien. C'est vraiment généreux de la part des flics de lui avoir offert presqu'une saison complète afin de se trouver une justification niaiseuse quelconque.
Bref. Ils lui ont juste donné un peu la chienne, sans conséquence légale.
Les grandes questions:
Ce petit criss-là est-il un tueur en devenir?
Plus que moi et vous, sûrement. Autrement, je ne le sais pas moi, s'il va finir tueur ou juste devenir le prochain Earl Jones de ce monde, et j'en ai rien à chier anymore… Puisque la vraie question est :
Comment un cegep peut-il fermer les yeux sur de tels propos au 21ième siècle, et persister dans son désir de jouer à l'autruche afin de réduire ses frais d'avocats?
Ou plutôt…
Comment un Cegep peut-il ne pas avoir de règlements quelconques empêchant un comique de tenir de tels propos, sans en subir la moindre conséquence?
Pire encore…
Comment un Cegep peut-il enseigner à quelqu'un que ses propos et attitudes seront récompensées, en lui offrant un instructeur privé, pendant que les étudiants normaux du même cours sont sans prof, puisqu'elle est complètement brûlée de toutes ces insinuations interminablement débiles?
Palmarès des choses saugrenues dans cette histoire:
-Certains ont tenté d'excusez ses propos en disant qu'il s'agissait d'un phénomène de mode lié aux films de tueurs à gage. L'idée de contrer ce courant ne leur a pas traversé l'esprit, lorsqu'il ont encouragé ce jeune morveux à jouer son jeu. De plus, je m'excuse (pas) mais je ne vois pas de lien entre la phrase : "je ne sais pas si je vais être en vie dans 2 semaines"et "la vie est comme une boite de chocolat" (dixit Forrest Gump). Ce fut quand même un des arguments utilisés pour "défendre" le comportement de ce maigrichon sociopathe en construction, ou du moins, pour éviter de penser réellement aux réelles conséquences de ces propos glauques.
Clap clap.
- Ma rencontre avec la méga-directrice des lieux à mon dernier jour, qui avait été hors du dossier tout le long, jusqu'à ce jour. Elle m'a annoncé qu'elle regrettait que ses adjoints aient traité l'affaire, puisqu'au final, c'était elle l'irresponsable en charge. (Vrai lapsus)
- Me faire demander par les ressources humaines si ma réaction de traumatisme ne serait pas dû à un évènement dans mon enfance. (!!!)
-Me demander dans ma tête au même moment, quels évènements dans leur enfance justifiaient que tout le monde en charge se contre-tabarnaque de l'enjeu majeur de cette situation peu éthique.
- Le fait que par hasard, mes applications pour garder mon poste durant mon absence soient étrangement "égarées" la session suivant ces évènements, sans trop obtenir de collaboration de la part du syndicat à ce sujet. Vive le fait que j'avais des preuves de mes applications. Mais bien sûr, ces erreurs bureaucratiques n'étaient sûrement que dépendantes du hasard, bien sûr.
La morale de l'histoire:
La prochaine fois qu'un étudiant lance des signaux inquiétants dans le cosmos, tout mettre dans le déchiqueteur et agir en fonctionnaire aveugle et trouillard, à l'image de plusieurs de mes collègues et supérieurs. Après tout, d'après ce que j'ai appris, c'est exactement ça, l'enseignement.
Pendant ce temps, le petit comique à l'esprit morbide continue son DEC, est peut-être dans son cours d'éduc à l'heure que vous lisez ceci. Je ne sais pas comment dire ça…. mais… venez pas me faire chier en me demandant si j'enseigne cette session.